dimanche 10 mai 2009

Un coeur en or

Quand il était plus petit, il s’endormait souvent en écoutant « Heart of gold » de Neil Young. Quelquefois, c’était Amalia Jackson ou Harry Belafonte. Il prenait dans la chambre de son frère ce qu’à l’époque on appelait un baladeur. Les écouteurs de cet appareil étaient couverts de protections en mousse épaisse, qu’il collait à ses oreilles et grâce auxquelles il s’isolait. Si on avait ça, dans nos têtes de jeunes adolescents, on était quelqu’un. La plupart du temps, les cassettes se déroulaient. Il essayait tant bien que mal de les rembobiner patiemment en entrant un stylo dans l’un des deux trous et en faisant bien attention de ne pas laisser plier la bobine. Il ne fallait pas faire de bruit dans la chambre mais il savait que si il en faisait, sa mère serait rassurée de savoir qu'il était là et n’était pas sorti par la porte du garage. Il avait pourtant en permanence envie d’être dehors, même l’hiver. Parfois il pleurait, et il essayait de s'en empêcher. Il voulait fuir quelque chose, avait beau se creuser la tête, il ne trouvait pas quoi. Seulement cette chienne d’envie de n’être pas là.

Alors quand l’occasion se présentait, il trainait dans les grandes rues de Montréal, des rues longues et monotones telles qu'on ne les imagine pas en Europe. Il rejoignait M., G. ou S. parfois les trois. Ensemble, ils faisaient des coups comme on peut en faire à cet âge. Ils montaient sur les toits de l’Université de Montréal, ils prenaient des fleurs au cimetière pour les revendre, attendaient au pied des cours de tennis de Westmount et refourguaient les balles à ceux-là mêmes qui les avaient laissées passer de l’autre côté du grillage. Ils couraient souvent à en perdre haleine, buvaient des « Oranges Julep » qui coulaient le long de leurs joues et leur donnaient une haleine d’agrumes mêlés à du lait, ils avalaient de la Mescaline dans les ruelles du Plateau. La sécurité du Québec passait près d’eux quelquefois, émaciant encore davantage de ses gyrophares la blancheur de leur peau. Mais elle ne se souciait guère d'eux, ils étaient trop petits. On aurait dit des enfants du tiers-monde. Ils étaient seulement les enfants des années 70.

Parfois il se demandait s’il était une fille ou bien un garçon. Il se disait que lorsqu’on est un garçon, on n’a pas peur. Alors, il n’avait pas peur. En général, le vendredi, tous les trois se retrouvaient chez la mère de M., c’était dans Côte-Des-Neiges. Là, on donnait des joints à fumer aux enfants, il y avait toujours une assiette vide sur la table, tout était partagé, souvent quelqu’un arrivait à l’improviste pour prendre cette place libre. C’était un endroit où, quand on était petit, on était grand, et où il se sentait immense, prêt à affronter la nuit. Le froid donnait une profondeur à la nuit de Montréal, la neige en tombant, couvrait tout, elle lui donnait l’assurance qu’il n’avait pas, elle était comme la mousse de son baladeur. Le bruit des voitures en était étouffé, plus rien n'existait, lui, M., G. et S. étaient immortels. Les beaux jours ne reviendraient jamais. Qu’importe.

Aucun commentaire: