Je sens chez elle une détermination proche de la folie.
Quelque chose d'impressionnant.
Tous les matins, elle jette des miettes de pain aux pigeons.
Je l'observe, je me dis qu'elle a certainement derrière elle, en filigrane, toute une histoire, des rires, des larmes et des secrets.
Tous les matins je la vois.
Lorsque ses yeux croisent les miens, je n'arrive pas à discerner si elle se méfie ou si elle a envie de me parler.
Elle semble faire des gestes automatiques, presque machinaux.
Elle secoue le tapis posé devant sa porte, prend son chat sur le bord de la fenêtre, lui parle, et toujours regarde par terre.
Une voiture rouge de la ville de Montréal passe et s'arrête devant celle du nouveau locataire d'en haut.
Nous sommes lundi et, comme deux fois par semaine de chaque côté de la rue, il faut « changer de bord » la voiture en début d'après-midi.
Je dis à la pervenche (qui tire plutôt vers le rouge) que le jeune locataire est nouveau et qu'il arrive du Nouveau-Brunswick, peut-être qu'il ne connaît pas les règles de stationnement.
Il a déjà reçu un « ticket », une amende, avant-hier parce qu'il s'était garé devant la « borne-fontaine » (la borne rouge pour les pompiers). Rien n’y fait, l'amende est déjà enregistrée.
Après tout, ça n'est pas ma voiture et j'ai pris des contredanses plus souvent qu'à mon tour pour ces mauvais côtés de la rue, le mauvais jour.
j'écrase ma cigarette sur la brique et marmonne que le fonctionnaire doit être payé au nombre de voitures.
La dame est encore là et elle me sourit pour la première fois.
Elle a peut-être vu que j'essayai de défendre quelqu'un d'autre.
On dirait qu'elle tend son chat vers moi.
Puis tout à coup elle hurle :
« C'est pas l'bon bord ostie ! »