samedi 18 avril 2009

Au tapis

Hier soir j'ai vu un film allemand " la vie des autres ", puis un film de Chéreau d'après Conrad : " Gabrielle " avec Huppert. J'ai fini " Mort à crédit " . J'ai commencé le premier volume de " Guerre et paix " et sur les conseils d'une parisienne aux belles jambes j'ai acheté chez Renaud Bray les " Chroniques de l'oiseau à ressort ".

Je suis toujours noyé par la nostalgie. Elle me broie, mais je m’y complais. J’ai fumé presqu’un paquet de cigarette cette nuit, après une journée durant laquelle je me suis battu avec un logiciel de traduction. J’ai ouvert aussi une bouteille du vin que nous avions rapportée de France pendant le repas avec Alex qui vient de rentrer de Chine et que nous sommes allés cherché lundi à l'aéroport de Montréal.

Le vin aidant, n’ayant rien bu depuis un mois, la tête tourne et la nostalgie arrive. On pense à des choses banales et elle prennent le dessus. Je joue au poker en ligne, j’ai gagné cent dollars. J’ai eu la mauvaise idée d’écouter le disque d’un concert de Daho en jouant. Je pense à ce concert, au Zénith de Montpellier en 1993.

Nous arrivons en avance, elle me dit que c’est pour qu'on se place devant la scène. Je fais semblant de rien. Je joue le blasé. C’est pourtant la première fois que je me rends à un grand concert comme celui-là. Quelqu’un chante et je suis persuadé qu’il m’est intime, que c’est moi qu’il regarde. Les éclairages sont puissants et la musique joue fort. Il y a Édith Fambuena, elle joue de la basse, ou peut-être de la guitare. Personne ne se rappelle de cette chanteuse, moi oui : « Je sais que les anges ont raison ». Je suis avec Nathalie, une fille avec beaucoup de classe et d’une grande beauté. Une beauté brutale et douce à la fois, de l’intelligence mêlée à de l’insouciance.
Après le concert je vais rôder aux arceaux. Je regarde les garçons. Il y en a un qui crache sur un autre. Ca a l’air de l’exciter. Sous une arche en contrebas un noir avec un chapeau blanc joue du saxo. Il s’est placé sur un éclairage municipal fiché dans le sol. Moi je descends les grands escaliers puis je rentre à pied dans ma cité universitaire. Dans Montpellier tout est calme. Je voudrais que quelqu’un surgisse au coin de la rue. Ca n’arrive jamais.

La nostalgie est comme une barque sur un lac en été. Si on atteint une crique et qu’on touche la rive d’une époque passée, viennent autour de nous en mouvement circulaire, d'infimes vagues, imperceptibles, mais qui nous emmènent par petits à-coups vers un endroit tout proche, pareil en tout point à celui d'où on vient mais où la perspective est déjà différente. Je pense que ce sont ces vagues là que Virginia Woolf a décidé un jour de rejoindre, calmement, sans violence. Les mêmes vagues qu’elle a donné pour titre à un de ses romans.

Alors je pense maintenant à une autre grande dame, plus dans l’écrit mais dans le verbe : Supernana. On ne s’en souvient pas davantage. Elle a occupé de sa voix cassée par le tabac et l’alcool, beaucoup de mes nuits blanches. J’ai appris qu’elle était morte d’un arrêt cardiaque l’année dernière alors qu’elle devait faire son retour à la radio sur Europe 1, le dimanche avec Laurent Baffie. Mes nuits de l’époque, entre deux jours au lycée, étaient drôle, subversives et sucrées. J’y ai découvert Brigitte Fontaine, Carbone 14, Guillaume Dustan et la complainte du phoque en Alaska. J’y ai entendu aussi des anarchistes côtoyer des aristocrates.

Au lycée Il y avait Alastair, Géraldine et Marie-Laetitia. Ma peau était pleine de boutons. J’aurai voulu m’écorcher. Je n’avais pas l’assurance des ados d’aujourd’hui. Je regardais des garçons lorsqu’ils ne me regardaient pas. D’ailleurs ils ne me regardaient jamais. J’avais un professeur d’anglais qui nous vouvoyait mais qui voulait qu’on l’appelle Françoise. Sur ses oreilles elle accrochait des girafes. Elle a son
entrée sur le catalogue de la BNF, parce qu’elle écrivait des livres avec sa machine à écrire portative dans les décharges municipales. Il y avait aussi le théâtre : Brecht, Durringer et Julien Bouffier.
Un canadien dans notre classe : Jonah qui venait d’Halifax en Nouvelle-Écosse.

Puis, porté par les vagues, je me suis endormi.

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