samedi 21 août 2010

Dans le signe du Lion


La dame d'en face a le regard fixe, elle ne baisse jamais la tête.
Je sens chez elle une détermination proche de la folie.
Quelque chose d'impressionnant.
Tous les matins, elle jette des miettes de pain aux pigeons.
Je l'observe, je me dis qu'elle a certainement derrière elle, en filigrane, toute une histoire, des rires, des larmes et des secrets.

Tous les matins je la vois.

Lorsque ses yeux croisent les miens, je n'arrive pas à discerner si elle se méfie ou si elle a envie de me parler.
Elle semble faire des gestes automatiques, presque machinaux.
Elle secoue le tapis posé devant sa porte, prend son chat sur le bord de la fenêtre, lui parle, et toujours regarde par terre.

Une voiture rouge de la ville de Montréal passe et s'arrête devant celle du nouveau locataire d'en haut.
Nous sommes lundi et, comme deux fois par semaine de chaque côté de la rue, il faut « changer de bord » la voiture en début d'après-midi.
Je dis à la pervenche (qui tire plutôt vers le rouge) que le jeune locataire est nouveau et qu'il arrive du Nouveau-Brunswick, peut-être qu'il ne connaît pas les règles de stationnement.
Il a déjà reçu un « ticket », une amende, avant-hier parce qu'il s'était garé devant la « borne-fontaine » (la borne rouge pour les pompiers). Rien n’y fait, l'amende est déjà enregistrée.
Après tout, ça n'est pas ma voiture et j'ai pris des contredanses plus souvent qu'à mon tour pour ces mauvais côtés de la rue, le mauvais jour.
j'écrase ma cigarette sur la brique et marmonne que le fonctionnaire doit être payé au nombre de voitures.

La dame est encore là et elle me sourit pour la première fois.
Elle a peut-être vu que j'essayai de défendre quelqu'un d'autre.
On dirait qu'elle tend son chat vers moi.
Puis tout à coup elle hurle :

« C'est pas l'bon bord ostie ! »

vendredi 26 février 2010

Pour de bon


Juste à côté du bras.

Trop chaud ou trop froid, peut-être pas.

Encore un peu.

Juste un peu plus près de ce grand visage,

Ce visage qui ne me gronde jamais.

Dans ce rêve où je me trouve face à face avec quelqu'un que j'aime et à qui je reproche des choses qui n'existent pas, qui depuis bien longtemps n'existent plus.

Je suis en sueur, le drap sent mauvais et j'essaye d'attraper mon paquet de cigarettes que je n'atteins jamais.

Un peu plus tard (une heure ? Cinq minutes ?), je me réveille, et je réalise que j'ai arrêté de fumer à la mi-janvier.

J'ai l'impression d'être dans du linge humide, sale. Je dois me lever, peut-être me laver.

Doucement, j'essaye de ne pas faire de bruit. Le chien me suit et ses griffes rayent doucement le bois du parquet.

Je reviens sur mes pas sur la pointe des pieds pour ne pas éveiller Gulliver. Je prends un livre au hasard sur la table de chevet.

Querelle de Brest.

Le puits de lumière qui donne sur le toit hurle. On dirait que les montants en métal qui soutiennent les parois en verre où je vois la nuit vont se détacher.

C'est du vent de France, celui du Midi.

Du vent de Bretagne, du méchant vent d'octobre.

Querelle de Brest.

Vent d'autan qui rend fou et que jusqu'ici, à Montréal, je n'avais pas entendu.

J'ouvre la porte du balcon de devant. La porte se referme aspirée par un appel d'air plus fort que moi.

Alors, je m'assieds, j'ouvre le livre, mais mes yeux se ferment insensiblement.

Pourvu qu'il y ait la fin du monde.

Querelle de Brest.

Si les plantes meurent, c'est la faute d'un criminel.

Si je n'entend plus le prince de Haynin, ce n'est pas parce que Catherine est morte, c'est juste parce que maintenant je suis grand, juste que d'eux ça n'était pas suffisant.